samedi, février 26, 2005

Numériser le passé

Cela fait une semaine que je me dis "Il faut que j'écrive une note de blog! Il faut que j'en écrive une..."

En effet, depuis une semaine j'ai l'impression que mon cerveau est écartelé par tous les journaux français en ligne. Et voilà que la Bibliothèque nationale de France va s'y mettre aussi! Dans les 5 ans à venir, la BNF va mettre en ligne au moins 22 journaux (3,2 millions de pages, dont 2 millions en 5 ans)... journaux datés de 1814-1944! Le petit budget: 3,5 millions d'euros (donc plus d'un euro par page).

J'avoue, en tant que spécialiste du 19e, je suis ravie: la Revue des 2 mondes disponible sur mon ordinateur... 150 ans plus tard!

Ce dont cet article ne parle pas beaucoup, c'est que Jean-Noël Jeanneney, président de la BNF, s'inquiète pour le patrimoine français numérisé. Il veut, l'Express nous explique (et le cite) «défendre le regard français et européen sur notre passé commun». Et pourquoi veut-il le défendre? Parce que certaines compagnies américaines, comme Amazon.com et Google.com, veulent numériser le patrimoine littéraire mondial... et Jeanneney a peur que cela se fasse avec un "regard américain". Voyons-nous le début d'une guerre culturelle... virtuelle? C'est peut-être seulement une bataille (et pas la première). Qu'est-ce que cela veut dire "numériser à l'américaine" ou "à l'européenne" ou "à la française"? Est-ce que c'est une question de choix de texte et d'auteur? Une question d'édition? Une question d'introduction? De catégorisation? De style, tout simplement?

En cherchant à en savoir plus, je suis tombée sur (bon, j'ai "googlé") le blog d'un certain Jean-Michel Billaut qui dit quelque chose qui m'a frappée à cause de nos lectures. En se moquant (?) un peu de Jeanneney il écrit: "Vous allez dire que je râle encore contre le gaulois, mais cela montre bien que nous sommes tournés vers le passé ... et que le présent et le futur ne nous intéressent pas". Je vous conseille sa note de blog Les Français aiment-ils le futur?.

mardi, février 08, 2005

Ce que le langage de la presse nous révèle

Le choix de mot dans un article peut en dire autant que l'histoire que l'article essaie de raconter.

Je viens de lire un article dans Libé sur le discours de Condaleezza Rice à Science-Po aujourd'hui. Ce n'est pas difficile de "entendre" (si je puis dire) ce que le journaliste pense de Bush et peut-être même de Rice. L'article commence ainsi: "Comme son «boss», George W. Bush, Condoleezza Rice défend les grands principes et aime les phrases définitives." Déjà, appeler Bush son "boss" dans la première phrase fait réfléchir: le mot "boss" n'est pas un mot qu'on utilise d'habitude pour parler d'un président, donc pourquoi l'utiliser dans la première phrase? Pour souligner que Rice n'est qu'un porte-parole, qu'elle fait et dit ce que son patron lui dit de faire et de dire? Pour moi, le mot "boss" évoque un petit patron... ou la Mafia (crime boss). Et qu'est-ce que cela veut dire, "aimer les phrases définitives"? Plus tard le "boss" devient "Bush Jr..." (Pensons un peu au Monde Diplomatique et son "M. William Clinton.") Bon, c'est vrai, le journaliste ne manque pas de sens de l'humour.

Une autre citation de l'article:
«Un agenda mondial exige une alliance mondiale», a déclaré Rice. A Paris, elle est venue caresser plus particulièrement les Européens dans le sens du poil. «L'Amérique a tout à gagner d'une Europe forte comme partenaire dans la construction d'un monde meilleur et plus sûr», a-t-elle poursuivi.

Il y a là une excellente expression: "caresser dans le sens du poil" (par opposition à caresser à "contre-poil" ou "rebrousse-poil" -- ce que les animaux et les Européens n'apprécient pas). Donc, elle est venue calmer les nerfs des Européens... des Français surtout, comme ce discours était à Paris. Et est-ce que les Français (ou le gouvernement) acceptent ces caresses? Est-ce que c'est un signe de respect (ou de début de respect) de lui laisser faire un discours à Science-Po?

Il serait même plus intéressant de se pencher sur le discours de Rice. J'avoue que je n'ai pas grande confiance en cette nouvelle secrétaire d'état et son "boss." Quelle est la différence entre une "mission civilisatrice" et une "mission démocratisante"? Elles sont certainement bien différentes, mais la mission civilisatrice m'a appris à me méfier des missions, à prendre du recul vis à vis des cultures que je ne comprends pas -- voire même de celles que je crois comprendre.